mercredi 16 octobre 2013

L'Iran, post-election...

Du 9 juillet au 7 aout 2013

"Welcome in Azerbaidjan. "Le poste frontiere nous fait descendre des plateaux Kurdes chez les Turques Azeris.  Des mosquees bien plus rares qu'en Turquie, des toits nus d'ou les paraboles ont disparues, des fruits et sucreries caches sous le manteau, c'est comme un faux decor ou l'on sent de la retenue et ou chacun se doit de jouer un role qui n'est pas le sien. Le sens de l'hospitalite chez les iraniens nous font decouvrir l'envers du decor. Dictature religieuse qui les maintient enfermes, les iraniens accueillent l'etranger bras ouverts et gorges d'enthousiasme. Les voitures s'arretent, on nous demande d’accepter de l'eau fraiche, du soda, du melon... Dans la rue, sur le bivouac, on vient nous chercher, on nous invite, puis on nous remercie d'avoir accepte. Outside, Inside. On ferme la porte, les femmes se devoilent, on dresse la table a meme la terre, et on ecoute les histoire de chacun. Peu a peu se leve le voile que l'Occident met sur l'Iran...

Les jours passent et nous apprenons a nous laisser porter par l'enthousiasme a l'iranienne. Chaleur, affection et delicatesse. Tellement touches par cette amitie sincere et cette ecoute attentive, ce climat d'oppression politique attise notre compassion tant et plus. Surveillance policiere, omnipresence militaire, controle mediatique et des reseaux sociaux. Nous avons certainement les memes. Ici, elle se fait a ciel ouvert et rappelle sans cesse a tous les libertes qu'on leur a enleve. Nous comprenons mieux la peur d'un retournement politique radical qu'expliquaient les turques dans les rues d'Ankara. "Nous craignons d'un autre Iran"... On raconte ici avec degout l'utilisation de la religion pour asseoir une dictature qui controle et manipule. J'entends encore Arezou me raconter ses histoires qui me font debarquer dans son quotidien. A la tele, on explique aux femmes comment elles doivent s'habiller. Dans la rue, les flics en civil la rappelle a l'ordre pour une tunique trop juste, pour des cheveux devoiles, pour etre acompagnee d'un autre homme que son frere, son pere ou son mari. Pendant le ramadan, plus un point d'eau accessible sur l'espace public. Pas de reponse a une femme enceinte qui demande a se rafraichir... "Camille, ce n'est meme pas ecrit dans le Coran ce qu'ils nous imposent. Et au nom d'Allah". Et malgre tout, depuis 10 ans parait-il, les choses sont legerement plus flexibles... C'est tellement troublant d'observer tous ces gens devant porter une parure qui ne leur ressemble pas. Bien plus proches des europeens que des arabes, tout a coup, je ne comprends plus pourquoi les medias politiques francais font des iraniens de dangereux terroristes musulmans... Pourtant, eux nous le rappellent : "Il y a la politique, et puis il y a nous, le reste". Tres cultives et eduques, tous ont quelques mots d'anglais (y compris les plus vieux), et une grande envie de debat et d'echange d'idees sur notre monde moderne. Et nous, pauvres francais qui ne connaissons meme pas le nom de leur president, meme pas foutus de distinguer les iraniens dans cette propagande geopolitique...

Tabriz, mer Caspienne, Teheran...
Les iraniens... toujours presents pour nous souhaiter la bienvenue et nous rappeler que, si nous avons besoin d'aide, il ne faut pas hesiter... Y compris ce jour ou nous arrivions a Teheran. Ce champion de velo de course (2eme d'Asie) et son mecanicien nous ont mis sur le chemin de l'hyper-centre, ce qui a ete une aide precieuse pour penetrer la megapole et nous ont meme donne d’utiles sponsors (cables de frein, clef torque, chaine Shimano, vis...). Il fait chaud, surement plus de 40 degres, les poignees de frein et le cadre du velo sont eux aussi montes en temperature, on le sent bien quand il faut freiner... Il nous aura fallu toute la journee pour parcourir les derniers kilometres qui nous separaient du dernier champ de mais a l'appartement de Mehdi qui nous accueilli spontanement. Mehdi. Plutot discret et pratiquant, il vit seul et, lui, ne nous parle pas du gouvernement. Il n'a pas non plus invite Camille a enlever on voile. Son metier se fait sur internet, sorte de "media researcher" pour le gouvernement...
A chaque nouvel accueil, on s'entete a reposer nos questions. Comme si on ne pouvait s'en empecher, on veut chercher en vain pour essayer de comprendre ces mysteres qui nous depassent. On tente une mise a jour des evenements passes. Hossein nous parlait du danger des revolutions, car elles entrainent ou permettent l'instauration d'un regime plus dangereux encore que le precedent... Nous decouvrons ainsi un Shah d'Iran dont on respecte la memoire. Le regrette de la dynastie qui assurait une bonne economie, voulait porter l'Iran plus haut que le Japon et entretenait des valeurs patriotiques. Le temps ou le voile etait optionnel. Le temps ou l'on priait chez soi et l'on trinquait a l'exterieur. C'est troublant de se promener dans la maison-musee du Shah, ou l'on vient se ressourcer dans la nostalgie d'une autre epoque. Comme si l'on errait a Versaille en regrettant la monarchie. En 1970, les partis politiques iraniens profitent de l'envie de nouveaute ou de changement des citoyens. Ras-le-bol de la dynastie Pahlavi. Peu a peu, on utilise les erreurs du Shah et l'on fait de certains evenements des generalites. Le Shah devient un "cruel king" qui utilise la torture et vit dans le luxe en laissant son peuple dans la pauvrete. D'ailleurs, la maison du Shah semble etre un outil interessant de propagande du nouveau regime. Elle permet d'etre la memoire de ce temps inegalitaire et des opulents privileges du Shah. Les ecriteaux semblent justifier et legitimer la Revolution de 1979. "Following the victory of the islamic revolution"... C'est comme si Erdogan avait ecrit les commentaires du musee Ataturk. On utilise alors la religion et le ras-le-bol d'un imperialisme americain, exploiteur des ressources iraniennes. En 2 mois, le regime bascule.  A l'instar de 1789, il en est alors fini de la monarchie. Khomeini, garde au chaud a Neauphle-le-Chateau, est porte a la tete du gouvernement. L'Ayatollah, chef du clerge en sorte, concentre les pouvoirs et imprime son visage sur les nouveaux billets. "Down with USA, down with Israel", les frontieres se ferment et les echanges commerciaux se concentrent sur la Chine, la Russie et les Etats voisins (Irak, Turquie, Azerbaidjan).
Et puis, tout s'emballe, on se melange les pinceaux. Pourquoi l'embargo sur l'Iran? et cette equipement nucleaire que l'Occident denonce, est-ce une excuse pour faire la guerre, denoncer une dictature religieuse, pauvres iraniens opprimes, pour faire sauter le regime, avoir acces aux ressources petrolieres et eclater un autre pays musulman ? Et la Syrie alors ? Et la guerre Iran/Irak au fait ? Finallement aujourd'hui, l'Iran supporte la Syrie, la Palestine et le Liban ? Et les sionnistes dans tout ca ? Quelle naivete d'essayer de s'y retrouver... Tout le monde s'y perd, on ne sait meme plus ce que l'on disait a l'epoque. Et puis on ne fait plus confiance de toutes facons... A plusieurs occasions, on nous le repetait : "They say, and we must believe it. So we think this is real". Alors, peu a peu, on laisse tomber nos recherches maladroites, et on ecoute ce que l'on veut bien nous raconter... La monnaie perd jour apres jour de sa valeur. Le cout de la vie monte en fleche. Le petrole est moins chere que l'eau (10 centimes d’euro, soit une bagatelle), mais rares sont les stations essence et les iraniens sont rationnes. On travaille tant et plus pour arriver a assumer la famille, acheter la voiture, louer l'appartement, s'offrir quelques jours de vacances. Masoud court et s'impose un rythme demeusure pour tenter de joindre les deux bouts. Apres Ahmadinejad, certains mettent de l'espoir sur Rohani. Quoique, nous dit-on, il faut choisir parmi les elus du guide supreme : "you choose the one I choose". Tiens tiens, et chez nous, comment sont-ils selectionnes ?
J'observe toute l'attention qui nous est donnee. L'oreille a l'ecoute, la main sur le genou de Xavier et les yeux concentres sur les paroles que l'on souhaite dire. L'iranien se demene pour s'assurer de notre bien-etre chez eux. Raffines, delicats, ils anticipent et nous prennent par la main. "Vous etes fatigues, voyager a velo demande beaucoup de force, il faut vous reposer. Ici c'est la douche, et donnez moi votre linge a laver". Le moindre indice devient une perche parfaite pour satisfaire leur culture de l'accueil. Oui, tant et si bien... "I think this is very good for you".
Nos recits, notre attitude, nos questions peut-etre font reagir Arezou : "vous etes si simples", me dit-elle avec ce sourire franc, spontane et bonde d'humilite. Un autre couple qui nous accueillait pour notre derniere nuit en Iran (a Saraks) nous racontait aussi le ras-le bol d'une societe materialiste et du niveau d'equipement socialement impose et inscrit dans nos traditions modernes. Un homme voulant se marier se doit d'assumer la location d'un appartement, l'achat d'une voiture. La belle-mere se charge du mobilier d'interieur, du salon a l'electromenager en passant par la chambre a coucher. On nous raconte la crainte d'une culture qui s'effiloche avec le renfermement de l'individu sur lui-meme. Fruit de l'augmentation du cout de la vie et de l'infiltration de certaines valeurs occidentales, la generosite et la solidarite a l'iranienne prennent retraite. Comment etait-ce alors en Iran lors de ses annees prosperes ?


Traverser un petit bout du monde a velo nous fait decouvrir un paysage qui evolue, la culture avec. On ne prenait pas la peine de nous degotter un garage ou une grange dans le Tirol autrichien (en toquant chez les pompiers qui plus est) ou dans les montagnes grecques (en nous repettant pourtant que... "c'est tres bien ce que vous faites !"...), alors qu'ici, il faut choisir quelle invitation accepter. "If you want, you can come at my home. You are my guest."? Combien nous l'ont spontanement propose. Nous refaisons le monde avec eux, se sentons comme amis de longue date. Nous repartons en s'arrachant a des personnes au coeur gigantesque. "Are you sure, you want to live tomorrow ?" Pour voyager encore un peu, il nous demandent de laisser nos photos depuis notre depart de France. Oui, bien entendu. Puis nous filons. L'emotion aux bords des yeux, les iraniens nous aurons saisis les tripes. Je repense a l'ambassade de France a Teheran... "Vous avez consulte notre site internet ?"- Euh... Bien entendu.- "Vous savez que nous ne recommandons pas aux ressortissants francais de voyager en Iran?" - Bien sur.- "Vous etes ici depuis longtemps ?" Quelle blague...