dimanche 7 juillet 2013

La Turquie : d'Ouest en Est

24 mai 2013, Armutlu.
Apres 3 Semaines a Athenes, nous repartons. Melange d'excitation et d angoisse sur cette route qui descend au port, je retouve ce petit air de depart a Strasbourg. Des demain, nous quittons l'Europe. Andreas, Emmanuel, Stamatis, Josephine... Impatiente de retrouver un environnement moins betonne, pleine de nostalgie de les quitter.
Incroyable est cette difficulte a fixer sur le papier les pensee que l on travaille sur le velo. Comme si les idees se fixaient bien mieux dans un paysage qui defile. A l'arret, on oublie ce que l on se disait. On repart, on retrouve le fil de l'histoire...
Nous arrivons sur la plaque asiatique par Cesme. Un vent chaud nous bringuebale, tantot de front, tantôt de cote, si bien que nous hesitons a continuer. Qu a cela ne tienne, nous devrons affronter des conditions  encore plus difficiles par la suite peut etre... Il nous faudra la journee pour passer la montagne.
Nous decouvrons une Turquie prospere, ou l accueil est a la couleur que l on nous a tant raconte. Les gens nous saluent, le sourire aux levres, et a l instar de ce que l on a pu vivre en Albanie, s assurent de l essentiel. Cherchons-nous notre route ? Reposez-vous cinq minutes, prenez un the et quelques fruits. La nuit approche, on s assure que l on a mange, que l on a un toit pour dormir. D ailleurs, sortis des villes, aucun hotel sur les bords de routes... Hospitalite oblige, il n y en a donc pas besoin ? Les regards, les signes de tete ou de la main, la distance que l on nous donne sur la route, les petits coups de klaxon, chacun son signal pour nous le dire : bienvenus.

8 juin, Ankara.
Nous arrivons sur Ankara depuis les plateux de l ouest. Les etendues cerealieres denotent des marais et des vallees abondantes de cerisiers, de vignes et d oliviers. Le paysage que nous decouvrons au fur et a mesure des kilometres contraste avec l imaginaire d une Turquie traditionnelle que l on rencontre dans les bazars d Istanbul.
On peut aisement s amuser a observer l'état économique du pays depuis la route. Le niveau d'infrastructures routières, le machinisme agricole, les immeubles au pieds des champs témoignent d'une société turque aux couleurs modernes que nous connaissons. La Turquie est l'un des seuls pays en autonomie alimentaire. Exportatrice de fruits et légumes, on remarque aussi une force industrielle. Des camions par centaines acheminent vers l'export des produits issus de la métallurgie, plasturgie, pharmaceutique... Abondante ou riche comme Cresus, la Turquie brille dans un age d'or qui nous surprend. L'ambiance est au propre et au neuf. Les turcs, sereins, semblent refléter une époque ou les affaires vont bon train, ou l'on se fait peu de soucis quand au lendemain. Lorsqu'on leur parle politique ou economie, "Problem Yok". Satisfaits de la politique actuelle, on nous montre le developpement dans lequel est entré le pays depuis l'arrivée d'Erdogan au pouvoir."C'est une bonne politique si l'on en juge a ce qu'on voit", nous disait-on. La modernité...
Turquie, terre accueillant par milliers les voyageurs et commerçants d'Est en Ouest sillonnants les routes de la soie. Est-ce ce passée de passages qui a gravé dans la culture turque cette ouverture et ce sens de l'hospitalité ?

L'entree dans Ankara marque une tournure brutale en comparaison à la quiétude que nous traversions, un retournement radical comparé à l'ambiance plus rurale. Le mail de Marcel, puis cette étudiante à l'approche de la capitale nous informent : la ville pleurt sous les gaz de la police. Nous appercevons les hélicoptères qui tournent sur l'hyper-centre, et filons à l'adresse de notre hote...
Stop. Pause. Changeons de lunettes et reprenons le fil de l'histoire. Il est amusant de se rappeler que, quelques semaines plus tôt en Grèce, on écoutait cette ardeur meléee de rancoeur envers les turcs conquérants qui ont occupé et pris des terres grecques. Aujourd'hui, mous remontons à l'époque d'Ataturk, le père des turcs, dont le portrait tapisse tous les commerces et orne toutes les places de villes. Saut dans l'histoire post-bizantine, nous découvrons le culte d'un personnage ayant recréé l'unité du territoire turque (sans rappeler les génocides engendrés...). Tentant de distinguer ce qui relève de la propagande encore vivante, nous énumérons les réformes entreprises à l'époque ou nous sortions de la 1ere guerre mondiale. Droit de vote des femmes, modernisation de l'agriculture, reforme de l'alphabet, laïcité, grandes infrastructures... Turquie. Pays musulman, donc arabe, donc très religieux. Combien font l'amalgame ? Un saut dans l'histoire moderne pour mieux comprendre la colère des turques qui occupent la place Taksim ou descendent dans les rues d'Ankara. Goutte d'eau qui a fait déborder le vase, l'évènement de Taksim devient l'embleme du ras-le-bol d'une politique allant à l'encontre des valeurs turques. Inquiets des mesures islamistes liberalistes d'Erdogan, les manifestants craignent de voir leur pays tomber dans un extremisme traditionnel dictatorial. Abollition du droit d'avortement, restriction sur l'alcool, introduction du Coran à l'école, réforme de la Constitution... Peur d'un certain déjà vu en Iran, ou l'on nous raconte qu'avant la Révolution de 1976, on y priait chez soi et buvait dehors... que depuis c'est l'inverse.
Le vent de colère s'est propagé à Ankara quelques jours après l'attaque de la police à Taksim. Repression étant le mot d'ordre, les protestations prennent une allure de guerre. Sans casseurs (du moins une casse ciblée : pub, banques...) ni provocateurs, les manifestants se défent des attaques et violences policières. Nous arrivons juste après le chaos du week-end. Pourtant, des enfilades de manifestants déferlent dans les rues. A la tombéee de la nuit, les boulevards se remplissent et se vides selon l'épaisseur du gaz laché par la police. Nous sommes sidérés. En compagnie de notre hote, nous errons en ville pour mieux comprendre. Il nous faudra peu de temps pour ressentir ce sentiment de peur et de colère de ce peuple qui riposte. Ce policier, étrange créature derrière ce masque à gaz, me tire par le bras et prononce quelque chose... Surprise par l'ironie de la situation, les policiers posent leurs boucliers et viennent s'abriter vers nous. La pluie s'abat sur la ville, et lave l'air. Quelques minutes plus tard, Xavier se retrouve au téléphone avec l'une de leur femme, francaise, de Colmar... Pendant ce temps, un journaliste demande des explications au commandant sur des agressions de la police qu'il a subit la veille. "Il y a des idiots partout", lui répond-il. Je ne sais plus sur quel pied danser. L'arrestation d'une femme à mes cotés par un policier en civil fini d'abattre mon énergie. Tout me parait surréaliste, relever de la fiction.
Avec notre hote, nous partons d'Ankara, il est temps. Des combats enfumés d'Ankara, nous atterrissons dans la douce grandeur des Cappadoces...

Sivas, le 20 juin
Nous entrons peu à peu le Kurdistan. Depuis le fond d'une pièce, nous visionnons les retransmissions d'images chocs des émeutes urbaines. On nous avait prévenu que le parti d'AKP avait beaucoup de succès en milieu rural, plus traditionnel peut-etre. Pourtant dans l'Est, au delà des infrastructures nouvelles et de la gratuité des soins hospitaliers, un point fondamental marque la popularité d'Erdogan : l'arret du conflit turc-kurde. Pour la première fois depuis, nous raconte ce kurde exilé en Europe depuis 17 ans, les kurdes disposent des memes libertés et de la meme sécurité que les turcs. Le fond sonore d'une chaine TV kurde en témoigne : la langue, la musique, la culture kurdes ne sont plus passibles d'arrestation, et nombreux sont les patrons kurdes qui emploient des turcs...
Nous continuons tant bien que mal dans des montagnes bien moins peuplées qu'à l'ouest. Un mal au genou et une indigestion nous couche l'un après l'autre.  Point d'eau potable et abri contre un vent fort, les stations essences et les quelques cafés desertés nous facilitent notre quotidien.

Erzurum, le 4 juillet
Nous retrouvons Marcel, Jess et Alban, les voyageurs à vélo qui sillonnent la meme route que nous. Direction immédiate pour le consulat pour voir ou en sont nos visas iraniens... Nous y rencontrons Elvin, étudiant iranien qui partage un appartement avec 4 autres iraniens, qui nous invite de suite à partager le repas chez eux... Voilà près d'une semaine que nous y sommes, a partager des histoires, des cultures, des fous rires... Pour lui, c'était évident que nous y resterions aussi longtemps qu'on le souhaitait. Cet accueil simple, sincère et chaleureux nous donne une petite saveur, un avant gout de l'Iran. Oublions tables et chaises, le thé y coule à profusion.
Trois journees consécutives au consulat nous auront été bénéfiques. La demande de visa a été faite près d'un mois plus tot (1 mois et demi pour Marcel), via une agence recommandée par l'ambassade, et pourtant... rien ne revient de l'agence. Les visas et ses mystères sont loin d'etre clairs. L'aide et la patience du Président du Consulat d'Erzurum nous ont été précieuses. Exprimant la honte qu'il eprouvait de nous voir attendre en vain un numero d'autorisation qui n'arrive pas, il fait une demande directe au Ministère à Teheran. La carte de la patience ayant certainement été la meilleure, nous ressortons tous avec notre visa iranien collé sur le passeport. Une hate et une excitation digne d'enfants, nous savons que, Inch'allah, nous pourront entrer dans ce pays qui fait tant parler de lui par son hospitalité qui dépasserait l'accueil turque...