vendredi 4 août 2017

Steppes by steppes, vers la rencontre des mongols...

Altanbulag, le 7 juillet 2017

Sembeno ? Baïarla ! Mongolie, goï !
Nous quittons Vladimir, son univers décalé et chaleureux, et répétons les premiers mots de mongole en attendant le laisser-passer des autorités.
La rigueur à la russe s'efface devant l'agitation des camionneurs et des voyageurs mongols. "Numéro de véhicule ?" Soit les forces de l'ordre mongoles ont été formés par les russes, soit ils ont le même humour...

Premiers kilomètres, premières yourtes et premiers troupeaux en bord de route. Le vent se renforce et les nuages d'orage commencent leur course à l'horizon. En contrebas, les cavaliers mongols resserrent leurs troupeaux et les retranchent vers le campement.
Avides de les rencontrer, nous fixons du regard, une à une, toutes ces yourtes blanches qui perlent le fond de vallée.
Nous filons droit vers la plus proche d'entre elles. La porte en bois sculpté s'ouvre avant même que nous allions toquer. Le grand-père cale son épais mégot au coin de la bouche pour mieux se recoiffer, tandis que je répète mes quelques mots de mongole. Mettre. Tente. Peut ? Ni une, ni deux. D'un geste rassurant et engageant, il nous invite à nous installer sur le côté.
Demander à planter la tente près des yourtes nous sert autant d'excuse pour rencontrer les nomades que pour leur témoigner notre respect. Si la propriété privée n'existe pas dans ces vastes steppes (comme dans de nombreux lieux de pâturages à travers le monde), un statu quo informel délimite clairement les espaces depuis plusieurs générations.
Assis sur de maigres tabourets, nous regardons nos verres se remplir d'un thé nouveau, et dévorrons du regard l'intérieur de la yourte. Son armature en bois, les médailles glanées aux dernières courses de chevaux, et les couvertures en laine enroulées sur le côté... Ambiance feutrée.
Les garçons entrent et sortent, alternant entre un jeu sur le téléphone portable et une course de cheval pour rattraper les brebis égarées.
Il est 7h du matin. L'heure tourne, et le grand-père nous rappelle à l'ordre. Le Nadaam (fête nationale mongole), à quelques kilomètres de là, va commencer. Les garçons y sont déjà partis avec leurs chevaux.

Nous enfourchons les vélos et filons pour Darhan. Sur le versant ouest, un nuage de poussière tranche l'horizon. La course de chevaux, l'une des disciplines du Nadaam, est en cours. A la ligne d'arrivée, nous nous fondons au milieu des spectateurs et des sifflements d'encouragement. Chevaux et cavaliers sont vêtus de leur plus belle parure, fils de soie et fines brodures...
Nous rejoignons l'arène, où jeunes et vieux lutteurs se retrouvent. Force et grâce, danse de l'aigle, majestueuse.
La nuit approche, et nous nous retirons tranquillement pour chercher où planter la tente, lorsque Choi, coréen installé depuis quelques temps en Mongolie, nous invite à rester quelques jours avec lui et sa famille mongole.
Le voyage et ses rencontres inattendues qui donnent pourtant l'impression d'exister depuis une éternité. Où fraternité et complicité s'installent curieusement et en un si peu de temps...

Nous quittons notre famille inconnue et nous engageons sur une piste pour rejoindre Ulan Baator, la capitale.
Avec une moyenne de 7 km/h, nous chargeons les vélos d'eau et de nourriture en prévention.
Pendant une semaine, nous remontons un liseret d'eau qui peine à abreuver les troupeaux à la recherche d'herbes vertes dans une steppe deséchée. Nous nous rapprochons de l'épais brouillard qui s'échappe jours et nuits des lignes de crête, et devons planter la tente en face d'un versant enflammé. Depuis plus d'une semaine, plusieurs foyers embrasent le massif montagneux, et recouvrement d'une chape de plomb les fonds de vallée. Poudre de suie, étuve asphyxiante. Aucun échappatoire pour ces centaines de villageois qui attendent en vain une pluie salvatrice, par défaut d'équipes de secours, et en dépit du maigre outillage envoyé par solidarité des quatre coins du pays...

Ce sont les vacances d'été en Mongolie, et les familles fuient une capitale étouffante et trop polluée, pour camper près des cours d'eau boisés. On sort les cannes à pêche, on égorge une chèvre, on fait la sieste près d'un arbre...
Et puis, au milieu de ces steppes désertiques où l'on se croit seuls et loin de tout, surgit toujours un mongol. Tel un cowboy sorti de nulle part, l'écho d'un cheval au galop. Le cavalier debout sur ses étriers, un bidon remplit de lait dans un bras et les reines dans l'autre main, nous rattrape pour nous inviter à venir boire le thé, ou nous propose d'essayer sa belle monture. Force et musculature (qui en ferait rêver plus d'une) accompagnent douceur et ouverture.
Après la pudeur des russes, l'enthousiasme méridional des Mongols et leur intimidente curiosité.

Le 17 juillet 2017

Nous finissons par nous extraire des premiers sentiers boisés pour redescendre sur Ulan Baator. Une grande porte d'acier nous barre la route et nous annonce notre entrée dans les faubourg de la capitale.
Villas, complexes résidentiels et vieux immeubles soviétiques transforment le paysage. Les yourtes d'été accolées aux maisons individuelles remplacent les piscines de nos lotissements à l'occidentale.
Le développement urbain anarchique fait d'Ulan Baator un méga bidonville où sont absents tout système d'adduction d'eau potable et d'eaux usées. Chaque orage et épisodes pluvieux lessivent les rues au régal des virus et des bactéries. Équilibre instable de la capitale.
Nous imaginons la vallée en hiver, lorsque les bergers et leurs familles abandonnent les steppes et reviennent, avec leur Prius d'occasion, pour chauffer au charbon yourtes et maisons de fortune et faire face aux rudes gelées sur le plateau mongole...

Nous rencontrons Froit et sa femme, qui nous accueillent pendant près d'une semaine sur l'une des collines de la capitale.
Une discussion après l'autre, nous recoupons informations et impressions, et le tableau merveilleux du nomade mongole libre et autonome tombe en lambeaux.
Comme tant d'autres sur cette terre, les paysans mongoles traînent avec eux un endettement insolvable en une génération. Victimes d'un système de surconsommation au delà des frontières, et d'une gestion concurrentielle des ressources naturelles lorsqu'elle existe. A côté d'eux, l'éternel refrain des entreprises soutenues par l'État qui augmentent la taille des parcelles et irriguent à large échelle, alors que des camions innondent les épiceries de produits chinois bon marché.
Pour faciliter le tout, les sécheresses répétées en Mongolie ne font qu'accélérer la désertification des steppes. En l'absence d'une gestion forestière d'État, les troupeaux gagnent les hauteurs pour glaner leur nourriture, et fragilisent les écosystèmes en proie aux incendies...

Le 22 juillet 2017

Nous quittons Ulan Baator pour rejoindre le désert de Gobi. Un monstre noir s'empare de la vallée. Des grêlons frappent le sol en cascade et congèlent les steppes d'été. Le ton est donné.
Les dernières arbres disparaissent et d'infinis horizons s'ouvrent à nouveau devant nous. Une vue qui n'en finit plus, d'où nous voyons émerger, éclater et se dissiper de multiples orages tout au long de la journée. Grêle, pluie, vent, sable, chaleur. Lecture du ciel.
Yourtes et troupeaux se font plus rares, et il devient difficile de penser à autre chose qu'à l'accès à l'eau et à la météo.
Premiers chameaux et premières carcasses séchées. Steppes vertes aux pétales blanches, steppes rouges d'une poudre d'ocre, steppes dorées par un soleil entêté. Chapeaux noirs des collines volcaniques et rochers dispersés comme des champs de météorites. Les oreilles sifflent un silence assourdissant sous l'étendue étoilée. La beauté du vide, la grandeur du rien...

Nous allons chercher les quelques villages en bord de route. Immenses mines à ciel ouvert, où les sous-sols sont pollués. Des habitants pris au piège d'une pollution industrielle qui n'en finit plus.

Nous rejoignons Sainshand, où nous achetons de quoi tenir 5 jours en autonomie, et mettons le cap sur l'un des plus vieux monastères boudhiste de Mongolie au milieu du Gobi. Nous arrivons à l'aube au pied du monastère, les trompettes sonnent l'appel à la prière et les moines rejoignent leurs temples...

Le 4 août 2017, à quelques kilomètres de la frontière chinoise.

Sur tout notre passage en Mongolie, aucun nomade aura refusé que l'on s'installe près d'eux.
Tente versus yourte, vélos versus chevaux. Notre mode de vie de nomade temporaire semble leur faire écho. Ils s'assurent que nous ayons de quoi boire et manger. Ils nous offrent le thé, et nous partageons ce que l'un et l'autre a à disposition. Ils nous aident à monter la tente, nous apportent un marteau pour les piquets, nous tiennent les arceaux face au vent.
Xavier aide les enfants à réparer leur vélo, et j'accepte une énième fois de leur montrer mes maigres qualité de trayeuse.
Les dernières bouses de vaches sont ramassées, et le chaudron chauffe lentement le lait fraîchement tiré. Des blocs de thé se dissolvent peu à peu, pendant que la crème de la traite précédente continue de s'épaissir dans la gamelle près de la porte.
On grignote des "chips mongoles" (fins morceaux de fromage séchés), et le père de famille sort ses jumelles pour vérifier que le troupeau ne se soit pas éloigné. Mêmes poêles, mêmes gamelles, mêmes pratiques, mêmes rythmes. Et pourtant, à chaque yourte, son lait sous toutes ses formes, aux textures et aux goûts différents. Des potées succulentes d'une viande suintante, du pain et des pâtes faits à la main.
La mère termine cet éternel rituel nomade, pendant que les enfants courent et jouent aux alentours. Dans ces steppes gigantesques qui sont leur terrain de jeu, et qui leur offrent une nourriture si peu diversifiée.
Nous regardons une dernière fois cette scène quotidienne d'un peuple nomade qui vit de peu, et nous laissons nous porter par la gaité et la tranquillité des sourires mongols...