mercredi 10 mai 2017

Douce Ukraine...

Frontière Slovaquie-Ukraine, le 10 avril 2017

Nous l'attendions autant que nous la craignions. Ce pays lourd d'histoire, entre les guerres et le nucléaire...
Nous quittons l'Union Européenne, et le passage d'une frontière internationale nous amène à sortir le passeport pour la première fois.
Nous continuons notre avancée dans le massif des Carpates, mais entrons dans un autre monde. Les maisons en bois au toit argenté, les petites échoppes et les chevaux attelés...
Et puis, comme il ne servait plus à rien de courir, on se pose, on observe, on prend le temps...

Lviv, le 15 avril 2017

Le weekend de Pâques a commencé, et nous n'attendons pas plus longtemps pour quitter l'une des plus belles villes d'Ukraine.
Nous passons d'un hameau à un autre, cherchons les bourgs de village où les églises sont ouvertes, pour partager ces fêtes avec les locaux.
Nous voulons découvrir les rituels et enfin savoir où vont ces centaines de paniers accrochés aux bras des ukrainiennes. Les cloches sonnent, et les villageois rentrent chez eux. Nous tentons notre dernière chance et demandons un abri. Après quelques échanges entre eux, ils tombent d'accord : c'est Anna qui nous accueillera... Après les cérémonies et la traite des vaches, nous partageons les victuailles de Pâques en famille. Pain de Pâques, oeufs durs, viandes, sauce au raifort et samagon...
Anna, Maria, Tatiana, Tamara... De babouchkas en babouchkas, les accueils se succèdent et dépassent nos espérances.

Et puis, Vladimir... Attendant la tombée de la nuit pour se faufiler dans un abri et se protéger des gelées, un homme s'approche de nous, traînant derrière lui un sac de jute à moitié plein. Sans mot dire, il traverse la route et se penche sur le bas côté pour ramasser ce qu'il semblait chercher. Alors qu'il rebrousse chemin, il s'arrête à notre hauteur, et il lui en faut bien peu pour savoir ce dont nous avons besoin... Xavier a confiance, et je me raccroche à l'image de ce chien si calme qui l'accompagne. J'observe cet inconnu qui est venu nous chercher, sous ce lourd manteau d'hiver et traînant d'épaisses chaussures qu'une vie entière ne suffirait à user. Nous arrivons devant chez lui, et comprends qu'il me faudra oublier ce qui m'entoure. Le fouillis, l'usure, le plancher en lambeaux et le mobilier oublié. Une petite pièce, qui fait cuisine, salon et salle de bain. Une trappe au plafond pour accéder à la chambre. Des herbes sauvages vitaminés pour ses chevaux aux fruits séchés pour nos estomacs irrités, il vit de peu et prend ce que lui offre la nature. Il hisse à l'étage deux rondins de bois. On ne s'attarde pas, il faut se lever tôt le lendemain pour atteler les chevaux et ramasser le lait dans les villages alentours. J'oublie le taudie, j'oublie la fumée du poêle qui envahit la chambrée. J'oublie mes préjugés et me laisse porter par la magie de Vladimir. Par sa bonté et sa simplicité.
Le voyage regorge de rencontres comme celle-là, qu'il ne tient qu'à nous de laisser venir. Cet équilibre indescriptible entre prudence et confiance, dans lequelle il faut naviguer. Et parfois s'ouvrir et se laisser porter...

Zytomir, le 19 avril 2017

La plaine sableuse ukrainienne marque une rupture radicale, comparée à l'ambiance montagnarde que nous connaissions.
D'un côté : d'infinies parcelles agricoles, des dizaines de camions pour acheminer les semences et des avions pour pulvériser le reste. De l'autre, des lopins de terres au pourtour des villages, des chevaux attelés et des sacs de patates couchés sur des vélos​ rouillés...
De pauvre fermier en agronome diplômé, nous découvrons de multiples facettes d'un pays qui aurait beaucoup à raconter. Les sols agricoles sont l'atout principal de l'économie ukrainienne, derrière les régions viticoles et les sous sols énergétiques désormais sous contrôle des autorités russes. Intensification agricole versus extension forestière. Les forêts sont sous contrôle de l'état, mais la situation économique du pays dégrade la gestion forestière. Coupes à blanc et abattages illégaux s'intensifient.

Kiev, le 21 avril 2017.

La "crise" qui a frappé le pays depuis 2014 marque un nouveau tournant dans le pays. Depuis la période soviétique, qui semble avoir été vécue comme une parenthèse dans l'histoire ukrainienne, guerres et révolutions se sont succédées en quelque décennies seulement.
Depuis l'Empire ostro-hongrois, une partie du pays est sous influence culturelle russe, tandis que l'autre partage une page de l'histoire européenne. Aujourd'hui : tendance pro-russe à l'est, tendance pro-européenne à l'ouest.
Nous arrivons au coeur de la capitale. Maidan, symbole de la révolution de 2014. Suite à l'arrêt des négociations entre le Président ukrainien et l'Union Européenne, les étudiants sont descendus dans les rues pour demander la reprise du processus. Un, puis deux, puis trois... Des tirs surgissent dans la foule. D'où viennent les balles et qui en est l'auteur, les points de vue divergent et tous les scénarios sont possibles... Violence en escalade, répression en cascade.
Après l'exil du Président en Russie, l'instabilité politique et la faiblesse de l'armée ukrainienne offre une fenêtre de tir parfaite pour Moscou...
D'un côté comme de l'autre, les outils de propagande (médias, réseaux sociaux...) semblent jouer avec l'opinion publique, et soulever les masses au moment opportun.
Aujourd'hui, et avec le peu de recul, nombreux sont ceux qui regrettent la révolution et ses effets. Du jour au lendemain : plus rien. Moins de travail, on brade les diplômes, on vit sur les économies, et on espère que les biens reprendront de la valeur. L'évolution de simples manifestations étudiantes en un conflit armé auront eu raison des divergences. Un souhait commun : celui du cesser le feu...

Parce que le hasard s'immisce partout, nous atterrissons chez Paul et Tatiana, à 30 km du centre de la capitale. Lui cartographe et géomaticien, elle juriste en droit de l'urbanisme. La décentralisation est en cours en Ukraine, et donne naissance à de nouvelles collectivités.
De notre côté comme du leur, les questions abondent. Nous comparons nos expériences dans ce métier, ses limites et nos désillusions. Ils mettent leur espoir dans cette réforme en devenir : trouver la façon de faire à l'ukrainienne, qui ne soit ni russe, ni européenne.
Nous rentrons dans le détail des textes de loi, et je comprends peu à peu l'origine de ces paysages urbains qui se ressemblent. De Kiev à Pripiat, d'Ukraine au Kirghizistan, et probablement dans toutes les villes au passé soviétique, les mêmes normes à respecter. Si l'on s'attend facilement à trouver des Lada dans les pays de l'ex URSS, on s'imagine moins combien l'uniformisation touchait tous les détails de la vie quotidienne. Nos discussions deviennent plus professionnelles, et je fouille dans mes souvenirs encore frais d'agence d'urbanisme. Quels besoins, quelles priorités, quels impacts pour les populations...

Tchernobyl, le 28 avril 2017

À moins de 150km au nord : de Kiev. 1986-2017 : 31 ans après la catastrophe, qu'en reste-t-il... À quoi bon aller poser à nouveau les yeux sur les horreurs du passé ? Je tente plus ou moins rationnellement de peser le pour et le contre, de trouver des cartes, des articles, d'évaluer le niveau de risque... mais le sait-on vraiment ?
Depuis quelques années, le gouvernement ukrainien à cessé de suivre les habitants. Certains préfèrent ne pas y penser, d'autres suivent les conseils du gouvernement et absorbent 1L d'eau iodée quotidiennement...
De contact en contact, nous réservons deux places dans le prochain groupe qui part pour Tchernobyl. Impossible d'y aller sans un tour opérateur, sans les autorisations gouvernementales et sans connaissance des zones les moins irradiées.
De Tchernobyl à Tchernoland, nous embarquons dans un bus VIP. Premier check point à l'entrée de la première zone d'exclusion, à 30km du coeur du réacteur n.4, celui qui explosait 31 ans plus tôt. Signature d'une décharge à l'intention du gouvernement ukrainien et vérification des passeports.
De part et d'autre de la route, des dizaines de maisons ensevelies sous les arbres, fantômes d'une vie d'autrefois. Nous entrons et Tchernobyl, où se sont réinstallés petits vieux et jeunes ouvriers.
La construction de la centrale, et de la​ zone industrielle qui l'accompagne, avait donné lieu à la construction du village de Pripiat où logeaient les ouvriers​.
Pripiat. Notre bus avance lentement sur ce qui reste des plaques en béton de la ville désertée. Statues de Lénine, étoiles rouges, auto-tamponneuses, livres d'écolier et dernières poupées... Le temps s'est arrêté.
Des milliers de familles évacuées, des autorités non préparées, des populations non informées. Des liquidateurs mobilisés, masques en plastique et combinaisons de coton, élagueuses de Norvège et tractopelles de Russie. 70 victimes directes, officiellement reconnues par Moscou. Quant aux victimes indirectes... Cinq années de sont écoulées avant la fin du bloc soviétique, et les études post-catastrophes sont archivées quelque part à Moscou. Affaire classée​.
Nous arrivons sur le site du réacteur n.4. Des hommes et des femmes en blouse de travail font des allées et venues en direction du sarcophage qui contient le reste du coeur en fusion, pou le nettoyer, le consolider, et en reconstruire un nouveau.
Selon notre guide, la catastrophe ​était inévitable : cette ancienne arme nucléaire n'était pas faite pour produire de l'électricité. Il approche son dosimètre près du sol, et l'appareil s'active. Bip, bip, bip. La démonstration étant faite, nous remontons dans le bus et rebroussons chemin. Un dernier détour vers l'un des plus grands radars de l'ex URSS, puis sortons des zones d'exclusion...
Derniers contrôles du niveau de radiation des néo- touristes de Pripiat. "Clac". De la zone industrielle soviétique à la première zone radio-écologique du monde, la nature à colmaté les brèches et la vie continue. Quelques victimes le jour J puis une zone déclarée invivable pour plusieurs milliers d'années. Comme d'une toile d'araignée, on reste pris au piège. Des fonds de rivières, des végétaux, contaminés pour une éternité...

Novgorod Siverski, le 9 mai 2017

De maisons en maisons, de copains en copains, l'hospitalité nous ennivre... Nos sacoches sont pleines à craquer de nourriture qu'on n'a pas le temps d'écouler, et de rencontres qu'on aimerait graver.
Du shashlkik de castor aux cérémonies du 9 mai 1945, les jeunes ukrainiens se relaient et nous portent jusqu'au bout du bout de leur pays. 5 km avant la frontière, on nous glisse encore quelques sucreries dans les sacoches.
"Nous avons étés heureux de vous rencontrer". Et nous donc... Nous qui nous préparions à affronter des ours rudes et ennivrés, nous repartons avec des souvenirs d'hommes et de femmes pleins d'écoute et de gentillesse.
Merci, douce Ukraine...


Un apercu en photos...
(avec toutes nos excuses pour le manque de légende... Bah oui bah oui, on sait... c'est pénible pour celui qui regarde... Mais il faut déja compter une demi-journée pour publier cet article avec sa séléction de photos... alors vous comprendrez bien que... on fait l'impasse !)